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Covid-19/Pharmacien

Je me souviens de ce jour du 28 février 2020 où j’ai vu, à la télé, une consœur en Italie masquée et gantée. Je me suis dit que cela allait nous arriver très vite et je me suis également rendu compte que nous n’étions pas prêts, ni matériellement, ni psychologiquement à ce qui semblait foncer sur nous, le Covid-19.

Chacun à son niveau, bien entendu, mais ma première ambition a été de trouver des masques. Alors que notre gouvernement venait d’offrir généreusement du matériel sanitaire aux chinois 15j plus tôt, matériel prélevé sur notre maigre réserve stratégique nationale. Inconscient dans notre générosité face au danger qui, déjà, nous entourait.

Je recherche donc à partir du vendredi 28 février, de manière intensive des masques, des chirurgicaux (3 plis) mais également des FFP2 (bec de canard). Je constate alors avec une absolue consternation deux choses : la première est le manque total de stock chez tous nos grossistes pharmaceutiques. La seconde, bien plus grave, concerne les offres que je reçois par mail ou via des contacts sur des stocks de 3 plis et de ffp2, disponibles quasiment immédiatement, mais avec un prix d’achat de 4 à 20 fois plus élevé que ce qui se pratiquait un mois auparavant. Impensable pour moi malgré la forte demande de proposer ce prix à ma patientèle. Les spéculateurs étaient déjà dans la place.

Impossible donc de se fournir décemment en France visiblement. Je décide de contacter un confrère et ami allemand pour connaître la situation sur le terrain outre-Rhin. Verdict : Même Constat ! Aucun masque, ni gel. Cependant j’apprends une information capitale, les pharmaciens allemands vont être autorisés à fabriquer de la solution hydro-alcoolique (SHA), chose déjà en vigueur depuis des années en Belgique mais non autorisée en France à ce moment là.

Mon salut se trouvera plus au nord, direction la Belgique. Je décide donc de prendre le volant dimanche après-midi suite à la confirmation d’un stock disponible chez un fournisseur à récupérer lundi matin première heure. Ceci fait, je reviens et commence a distribuer des FFP2 au comptoir de l’officine après avoir pris soin de demander aux professionnels de santé autour de la pharmacie s’ils en avaient besoin. Je dois avouer que j’ai été chaleureusement remercié, car les médecins n’avaient aucune possibilité de se protéger décemment. J’ai pu également fournir aux autres membres du groupement de pharmaciens dont je suis responsable (30 pharmacies dans toute la France) ces appareils de protection FFP2, commercialisés au prix de 5 euros l’unité. Un prix élevé mais apparemment pas tant que ça selon la DGCCRF qui a contrôlé en quelques jours quasiment toutes les pharmacies d’IDF. L’organisme nous apprenait que cela se vendait jusqu’à 15 euros et nous félicitait pour ce prix « bas ». S’en suivra la réquisition par l’Etat de tous les masques jusqu’au 27 mars. Les masques sont maintenant réquisitionnés et leur distribution contrôlée à travers le réseau officinal. Nous avons fait du mieux que l’on pouvait afin de fournir les praticiens et professionnels de santé exerçant autour de l’officine.

Les gels et le SHA, constituent l’autre cheval de bataille de la lutte contre le coronavirus. . En tant que pharmacien de ville, je me suis retrouvé comme tous mes confrères dans l’impossibilité de me fournir car tous les fournisseurs étaient à sec et les nouvelles productions priorisaient très justement les hôpitaux. Encore une fois, comment cela a pu arrivé? Les stocks ont été vidés par les pharmacies frontalières de l’Italie car la demande s’est retrouvée beaucoup trop forte.

Constat : Plus de Gels. Il ne me reste plus qu’à le fabriquer !!!

L’OMS nous a fourni la formule et sincèrement, pour les chimistes que nous sommes, c’est un jeu d’enfant. Sauf que, c’était sans compter sur la difficulté d’approvisionnement en matières premières. L’alcool avant tout, impossible de commander car soumis à droit d’accise, le peroxyde, l’eau distillée, et des flacons vides… Nous sommes le samedi 7 mars et le virus circule parmi nous. En attendant, toujours pas de décret nous autorisant à fabriquer de la SHA. Que faire ?

Un choix, attendre comme depuis 15j que quelque chose se passe, ou prendre les devants et assumer ses responsabilités.

Que puis-je faire à mon simple niveau ? M’occuper au mieux de mes patients et des habitants de Livry-Gargan. Je vis à Livry-Gargan depuis plus de 30 ans et aujourd’hui j’y travaille. Ma famille y vit ainsi que mes amis. Protéger tout le monde c’est les protéger eux-aussi. Pourra t-on m’en vouloir un jour d’avoir voulu faire ce que je pensais être nécessaire? Je me prépare donc en faisant des réserves de toutes les matières premières ainsi que de flacons vides. A l’officine, grâce à l’engagement complet de mes collaborateurs et de mon entourage sans qui je n’aurais pas pu réussir ce travail, la production de gels s’est avérée finalement très rude et chronophage. Le décret nous autorisant tombe enfin, nous sommes le 11 mars et les pharmaciens sont (enfin) conviés à participer à la lutte contre le Covid-19 mais malheureusement toujours avec des possibilités de fabrications quasiment inexistantes. Les élections approchent, une ville voisine qui n’a pas reçu son stock de GHA de l’Etat me sollicite. Ils ont besoin de 60 flacons pour couvrir les bureaux de vote. Une ambassade à Paris, des entreprises, des particuliers et bien sûr des soignants, évidement. La demande est énorme et la tâche impossible. Plus d’alcool, plus de flacons….Résultat : environ 6000 flacons qui sortent de notre préparatoire, étiquetés et certifiés à 83% de teneur en alcool. Une partie est offerte avec plaisir. Nous avons toujours vendu au prix du décret du 14 mars fixant, en fonction de la quantité, le prix des SHA et en attendant les réapprovisionnements des fabricants de GHA (gel hydro alcoolique).

Arrive maintenant la phase du confinement. Elle ne se passe visiblement pas partout de la même manière. Alors que partout en France et à Paris, les citoyens respectent les recommandations et que les pharmaciens dans leur majorité voient une baisse logique de leur fréquentation, ici c’est l’inverse ! Allez comprendre! Encore cette singularité du 9.3 qu’on aime tant. Néanmoins, à la pharmacie les mesures barrières se sont multipliées et ceci avant même les recommandations gouvernementales. Marquages au sol pour la distanciation physique, utilisation intensive de la SHA entre 2 clients, plexiglas pour protéger les équipes, désinfections régulières des comptoirs, claviers et terminal CB et bien sur le port du masque que j’ai imposé à tous mes collaborateurs. Masques, et je tiens à le préciser, qui viennent de mon propre stock, et cela malgré le fait que nous avions également une dotation de l’Etat. J’ai préféré distribuer ma part à d’autres professionnels de santé plus démunis et parfois j’ai du donner de mon propre stock car j’avais en face une infirmière ou un pédiatre qui était sans défense et j’ai pu grâce à mon anticipation, les aider. Alors je l’ai fait.

L’épidémie gronde et les décès dus au Covid se comptent maintenant sur plus d’une main, des patients, agés certes, des proches…

Toujours pas de masques à l’horizon malgré la vente sur certains sites de e-commerces de masques 3 plis à des prix prohibitifs. La réquisition ne concerne plus les masques importés mais les prix pratiqués sont hors de portée. Des centres Covid se montent dans le département, aux Pavillons-sous-Bois, le responsable en charge du centre me contacte. Il lui faut d’urgence du matériel de protection pour démarrer le plus rapidement le centre de dépistage. Je fais l’impossible pour eux. Villemomble est bloquée également et on me sollicite pour du matériel. La tâche semble insurmontable, les EHPAD me demandent des milliers de surblouses et des charlottes, je leur trouve des visières et des surblouses lavables et réutilisables. Toutes ces missions rendues possibles grâce à la formidable équipe qui m’accompagne au quotidien dans cet enfer du Covid.

Au terme d’une démarche supervisée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), avec le soutien de l’ANSES, deux nouvelles catégories de masques à usage non sanitaire ont ainsi été créées, par une note d’information des Ministères de la santé, de l’économie et des finances, et du travail du 29 mars 2020.

  • Les masques filtrants à usage des professionnels en contact avec le public (catégorie 1)

L’usage de ces masques filtrants est destiné aux populations amenées à recevoir du public dans le cadre de leurs activités professionnelles. Ils filtrent plus de 90% des particules émises d’une taille supérieure ou égale à 3 microns et sont compatibles avec cette utilisation.

  • Les masques filtrants pour protéger l’ensemble d’un groupe portant ces masques et sans contact avec le public (catégorie 2)

Ces masques filtrants sont destinés à l’usage d’individus ayant des contacts occasionnels avec d’autres personnes, dans le cadre professionnel. Voici peut-être un espoir de protection rapide et efficace. Toute l’industrie textile en France mais également en Europe participe à l’effort et oriente sa production vers la conception de masques alternatifs. En tant que professionnel de santé j’accueille la nouvelle de façon positive bien évidement. Mais apparemment, ce nouveau produit ne rentre ni dans la catégorie des dispositifs médicaux (masques chirurgicaux) ni dans celle des équipements de protection individuelle respiratoire (par ex, ffp2). En fait ils n’appartiennent à aucune de ces catégories et donc ne figurent pas sur l’arrêté du 15 février 2002 qui fixe la liste des marchandises autorisées en pharmacie…. A ce stade, encore un choix, beaucoup trop de monde dans les rues, des décès malheureux et tragiques qui ne cessent d’augmenter. De mon côté j’ai privé mes parents de leurs petits enfants jusqu’à ce jour, en respect du confinement et des mesures barrières. Mais enfin, cela ne cessera jamais vu le nombre de personnes que je vois tous les jours. Et je ne pense pas qu’ils aient tous une raison impérieuse de sortir. Le pire serait de citer la folie, la bêtise peut-être, ou l’inconscience de certaines personnes testées positives et qui viennent à l’officine prenant le risque de nous contaminer et de contaminer une personne vulnérable. Bien entendu sans masque sur le visage. Le gouvernement à mis en place dès le 04 avril un site internet https://www.entreprises.gouv.fr/. Celui-ci liste les fabricants de masques alternatifs reconnus comme fabricants selon la norme AFNOR mais aussi et surtout les résultats des tests effectués par la DGA (Direction générale des armées). On se rend compte qu’il faut privilégier la catégorie 1 qui filtre les particules de la taille du virus à plus de 90% et d’ailleurs certains masques s’illustrent avec une filtration de 98% supérieure à un chirurgical type I.

Nous espérons baisser également le prix des masques dès que l’offre sera plus importante en les vendant à moins de 5 euros et proposer des masques pour enfants dès que possible.

Enfin pour conclure ce jour et comme tous les autres avant celui-ci, ma volonté à toujours été d’être un bon pharmacien et de faire honneur au serment de Galien: « D’exercer, dans l’intérêt de la santé publique, ma profession avec conscience et de respecter les règles de l’honneur, de la probité et du désintéressement.
De ne jamais oublier ma responsabilité et mes devoirs envers le malade et sa dignité humaine. »

J’espère avoir pu humblement répondre à certaines interrogations du quotidien sur le métier de pharmacien, même si je le conçois ce n’est que ma propre expérience. J’estime avoir fait le maximum pour combattre le Covid-19.

Paul AYDIN

Docteur en Pharmacie